Une Femme de Théâtre

Curriculum Vitae

À 4 ans, je voulais être : « un homme de théâtre » ! Quand on me demandait ce que ça voulait dire « un homme de théâtre », je répondais : « Faire la princesse, la maman, et la maîtresse… Et c’est moi qui donne aux autres les mots à dire et les mouvements, et puis c’est moi aussi qui met la lumière… Et je balaie même à la fin ! » Je me souviens très bien de cette envie de toucher à tout de ce monde-là…

Et j’ai la chance de vivre ce que j’ai rêvé d’être : je suis une femme de théâtre – Car maintenant, heureusement, cela peut se conjuguer au féminin.

Enfant, J’assiste à des spectacles de rues dans ma ville natale d’Aix-en-Provence : la liberté des années 70 infuse mon enfance, et c’est le premier coup de foudre avec le spectacle vivant : Les « saltimbanques », un conteur sous une tente, un funambule, de la musique et des clowns, et avec une foule dense pour partager ces émotions… C’est bien ça que je veux faire, grande !!!

A l’époque il y avait très peu de cours de théâtre, alors je commence par de « l’expression corporelle » à la MJC du quartier, je suis chanceuse de venir de l’éducation populaire dans ces années.

Vers 10-12 ans j’insiste pour être admise à fréquenter les seuls cours de théâtre pour adolescents d’Aix avec Micheline Paillard, (le premier cours qu’a fréquenté Philippe Caubère), et je me souviens de cette question absurde et pourtant si commune : que veux-tu devenir plus tard ? Je réponds : « pas une tête d’affiche ! Je veux vieillir sur scène ! Un bon vin se bonifie, alors je devrais vieillir bien si je travaille bien sur les planches en bois d’un théâtre, non ? … » Ce n’est pas le genre de réponse attendue, et ce n’était pas l’enseignement du théâtre que j’attendais…

Je passe au cours pour adolescents de Christel Rossel au Théâtre des Ateliers d’Aix, une théâtre de recherche et de formation, j’y fais mes gammes, et très vite je joue avec les adultes de l’atelier de création d’Alain Simon. Après les premières séries de représentations à Aix, on part faire le Festival Off d’Avignon, en 84 puis en 86. J’ai 15 ans, 17 ans, le bel âge sous la promenade des tilleuls … On parade, on rencontre d’autres artistes, Howard Buten vient nous voir, j’assiste à « qu’ils crèvent les artistes » de Kantor … (j’ai approché Kantor plus tard, en auditrice libre durant un stage à Avignon …)

Je vais quand même à la Fac (« passe ta maîtrise d’abord » me disaient mes parents) mais je ne voulais pas y faire du théâtre : je pensais que le théâtre ça ne s’apprend pas à l’université mais sur scène, je voyais mon apprentissage comme un compagnonnage de scènes en scènes avec des « maîtres ».

Je fais ma maîtrise sur la métaphore et l’espace dans « l’Iris de Suze » de Jean Giono, pour étudier la langue  au plus près, et j’ai eu de la chance d’être accompagnée par une grande dame de la stylistique, Joëlle Gardes-Tamine. En même temps je suis des cours au théâtre du Gymnase à Marseille, avec ceux qui allaient devenir les futurs directeurs de la Rue Blanche, Patrick Bourgeois et France Rousselle. Un théâtre encore trop classique à mon goût, heureusement une partie de la formation reposait sur le fait qu’on étudiait dans un théâtre, et qu’on pouvait voir les spectacles programmés autant qu’on le voulait, et c’est là que j’ai découvert Jean Guidoni chanter Prévert, et c’est là que je découvre la Commedia dell’Arte avec Carlo Boso et son équipe, et cela m’est apparu comme une nécessité absolue de m’y plonger, alors je pars le sur-lendemain pour faire un stage d’un mois à Venise, où on allait apprendre les fondamentaux du théâtre, construire des « cannovaccio », et se produire pour le Carnaval qui durait alors tout un mois … Cela me survolte ! J’y retourne pour y vivre, ma maîtrise en poche.

C’est donc là, à Venise, à l’âge de 20 ans que je deviens professionnelle au TAG Teatro. On crée avec de jeunes acteurs anglais, espagnols, belges et italiens, le spectacle « Drogues d’Amour » représenté en 91-92 en Vénétie, puis pendant un mois au Théâtre de la Cité Internationale à Paris. Après on a joué le spectacle à Amsterdam, et aussi au Festival de rue d’Aurillac, où le public, pour qu’on joue malgré la pluie, s’est groupé pour soulever nos tréteaux et les déplacer pour que le spectacle ait lieu malgré tout, à l’abri, sous les halles couvertes du marché …

Venise, il faut savoir en partir … Je reviens donc en France pour travailler dans ma langue, et pour trouver comment continuer ma formation. Je sens qu’il faut me confronter à Paris, et renforcer ma formation , encore faut il trouver la bonne, et je rentre à l’école de Pierre Debauche, rue St Bernard dans de IX °. C’est la rencontre avec le maître qu’il me fallait : il faisait en sorte que s’épanouissent nos pe r sonnalités sans les brider dans un modèle, et il nous apprenait à la fois la tradition théâtrale et le goût de déconstruire …

Pierre Debauche nous propose de partir avec lui à Agen en 94 pour y créer un théâtre. Évidemment je fonce ! Là je joue Macha dans « la Mouette » avec lui, c’est la pièce qui inaugure le Théâtre de Jour, et qu’on a tourné au CDN de Lille, au Théâtre 13 à Paris… Pierre y jouait Dorn et pendant plus de 80 représentations il m’a pris dans ses bras à la fin du 1er acte… Quelle merveille que de rencontrer un grand « homme de théâtre » et de jouer avec lui, il habite encore chaque journée de ma vie … Dans ce théâtre-école je travaille aussi avec Françoise Dannell (sur Labiche et Gozzi), avec Robert Angebaud (Athalie de Racine, l’alexandrin joué et chanté, le pied !), et puis aussi avec Alan Boone, Nadine Darmon, Edmond Tamiz, Zabo… Et j’ai le bonheur d’avoir comme camarades de promo des personnes magnifiques dont la plus connue est Elsa Lepoivre, ma Nina de « la Mouette », maintenant sociétaire de la Comédie Française et Molière de la meilleure actrice en 2017… Et puis je joue Hermia dans « le Songe d’une nuit d’été », et Cordelia dans « le Roi Lear » que Pierre Debauche interprétait. Sacré histoire…

Dans cet équilibre magnifique et précaire que sous-entend un théâtre-école comme celui du Théâtre du Jour, les anciens comme moi doivent laisser la place aux nouveaux qui arrivent… Et puis il faut aller voir ailleurs, quitter cette cocotte-minute du théâtre du Jour, alors je retourne en Italie en 96 pour changer d’air et vivre autre chose. Et là je joue « le Songe » à nouveau, en italien cette fois-ci, sous la direction de Valter Malosti, et dans un autre rôle : Héléna, l’amoureuse malheureuse (ce qui correspondait évidemment à ma vie à l’époque…) Ce fut un régal, on a joué l’été en plein air dans un château sur les collines, puis un mois dans un théâtre, quelle équipe formidable, Valter est maintenant à la tête de l’école du CDN de Turin… La musique du spectacle était créée par le compositeur Ezio Bosso, devenu célèbre comme pianiste, et je participe par la suite à son opéra « Alcina ». Et je rencontre l’autre musicien du spectacle, mon « petit frère » Adriano de Micco. Et à Turin je retrouve aussi Eugenio Allegri, compagnon de la troupe du TAG à Venise, qui me demande d’improviser avec lui des spectacles dans un parc public des cités populaires de la Fiat à Turin, avec chaque soir des invités : des groupes de Jazz comme «la Banda Osiris » ou des improvisateurs en rime classique comme Davide Riondino…C’est un grand acteur Eugenio, c’est pour lui que Allessandro Barrico a écrit « Novecento pianiste ».

En 96 Je fais ma première mise en scène à Procida (l’île en face de Naples, pas Capri ni Ischia, l’île populaire des connaisseurs…) sur des poésies de Tahar Ben Jelloun, belle rencontre grâce à son traducteur en italien, mon ami Egi Volterrani, grand passeur de la littérature africaine francophone. C’est un spectacle avec les deux danseuses de la compagnie « Schizo e Frenia » (c’est un nom prédestiné quand on pense à la suite de mon parcours !), auquel participent aussi deux musiciens de Jazz, et un excellent joueur de oud (le luth arabe) qui était un maçon tunisien immigré à Turin. Ce fût un beau geste artistique… Une spectatrice me dit : « on dirait du Brook ! », alors je décide d’en apprendre plus sur la mise en scène et je participe à un stage où nous étions 5 metteurs en scène des 4 coins du bassin méditerranéen, invités à suivre la création de « Giufà » en 1997 : et c’est la rencontre fondamentale avec Marco Baliani, mon autre « maître », créateur du théâtre-récit, acteur et metteur en scène particulièrement doué pour faire groupe.

Galvanisée, je crée des spectacles sur des sujets aussi divers que le vote de la loi de 1848 sur l’enseignement agricole (avec des étudiants de l’Ecole d’Ingénieurs Agronomes à Montpellier en 1998, grâce à François Martin qui m’a toujours fait confiance), ou le rapport des jeunes à la justice (procès théâtralisé joué par des collégiens au tribunal de Saint Martin en 2003, c’est quand j’ai vécu dans les Antilles, et que j’ai pu vérifier le crédo de Pierre Debauche qu’on peut faire du théâtre partout, et surtout là où il n’existe pas encore !!!)

à Marseille en 98 je travaille avec un metteur en scène africain qui m’engage comme assistante sur un Othello aux couleurs « inversées » : c’est Richard Martin du Toursky qui joue Othello, et le reste de la distribution est composée par des comédien-nes d’origine africaine ou antillaise.

Puis, grâce à une audition pour « Théâtre Sud » je rencontre Akel Akian, un ouvrier marocain devenu metteur en scène grâce à son opiniâtre sens aigu du théâtre. Je joue dans la « Locandiera » de Goldoni sous sa direction, et nous voilà parti pour un an de tournée (puis vu le succès deux ans) à parcourir les villages de Provence… Dans la distribution : Hélène Milano, Carole Errante, François Cotterelle…

Je décide de m’installer à Marseille, car Akel Akian me propose de faire de la vie des marseillais issus de l’immigration une matière théâtrale : c’est « Migrations Blues », une série de 5 spectacles sur deux ans de travail et de représentations dans les Quartiers Nord, où on jouait devant les personnes dont on racontait l’histoire, pour aboutir à un spectacle sur la scène du Merlan en 2004, et rencontrer le tout public.

A Marseille, Je reviens aussi au théâtre de rue, et à grande échelle : J’assiste Bernard Souroque sur les Massalia, spectacles urbains pour commémorer les 2600 ans de la ville, puis le passage à l’an 2000 : ce sont des spectacles réalisés par et pour les habitants, et vu par 300.000 personnes minimum. Il fallait mixer les quartiers, les origines et les pratiques, et travailler auprès du plus grand nombre (et quel bonheur de ne pas avoir à mettre en place de barriérages, de sens de parcours ou de distances de sécurité…)

Puis Marco Baliani me rappelle pour être son assistante sur « Sakrifice » en 2000, un spectacle avec de jeunes libanais et albanais, inspiré d’Iphigénie, qui parle des sacrifices et des guerres qui ont marqué ces jeunes acteurs, quel défi ! On a répété au Liban et en Albanie, et on a créé le spectacle à la Friche de la Belle de Mai à Marseille (je n’y habitais pas encore), puis j’ai dirigé la tournée en Égypte, en Italie, en Albanie et à Beyrouth, où la représentation a eu lieu le jour du déclenchement de la 2ème intifada (le jour de mes 31 ans), et les spectateurs pleuraient de voir leur histoire incarnée sur scène…

La tournée on l’a faite avec des pierres dans nos sacs de voyages, ces galets plats que les acteurs posaient pour dessiner un chemin pour les pieds d’Iphigénie… On a tous voyagé avec deux galets dans nos sacs. Autre époque : en pleine « révolte des cailloux » on passait encore les contrôles des aéroports avec des cailloux dans nos sacs… Et même des machettes !!! (Et je continue à rapporter des galets de tous mes voyages…)

Avec Luca dal Pozzolo J’écris pour « Fitzcarraldo (Observatoire Italien de la Culture Européenne) une étude basée sur une analyse de ces expériences des « Massalia » et de « Sakrifice », en termes d’innovation et de rapport aux territoires et aux communautés : on n’appelait pas encore cela le « théâtre communautaire » mais vu que je le pratiquais déjà je tentais de le rendre intelligible …

Et cette étude donne lieu à une publication en 2002 dans « Creative Europe » (an ERICarts report), que je suis invitée à présenter au Parlement Culturel Européen. J’en deviens membre, et participe activement à chaque session de 2003 à 2013. J’y fais de belles rencontres et j’y apporte je crois cette expérience d’une éducation populaire, politique, partagée pour monter des spectacles d’excellence avec des groupes issus de la diversité : cela pourrait être une définition du théâtre communautaire tel que je le conçois.

A Marseille, je fais aussi partie de l’atelier de recherche proposé par François Cervantès et je joue « Voisins » sous sa direction en 2006, à la Friche de la Belle de Mai et au théâtre Espace à Besançon. Le texte était inspiré des récits de vie des habitants du quartier, comme pour Migration Blues, mais magnifié par le sens de l’écriture et de la mise en scène de ce créateur.

J ’y rencontre des comédien-nes avec qui on monte un collectif : la Compagnie d’Ici, et on crée le spectacle « la Folle Envie » : sur scène 5 clowns (quel pari impossible), mais une folle envie que l’on a quand même poursuivi durant une quinzaine de représentations… Là je crée mon clown, Geppina, une migrante venant du sud de l’Italie en transit à Marseille, et en route vers New York pour y faire sa vie.

Puis nous avons eu 7 années avec la Compagnie d’ici de mises en scène pour le Carnaval de la ville de Marseille, où l’on proposait à des amateurs de participer à nos créations poétiques et décalées (Terre et Mer, Monsieur Rêve, Bric à Brac, carnets de routes …)

Et au même moment, en 2000, je mets en place la troupe de la Maison Bleue à Perpignan, avec une quinzaine d’acteurs usagers de la psychiatrie, qui jouent des textes de Dubillard, Desproges, Tardieu… et maintenant on joue Shakespeare. (cf le texte qui raconte cette expérience)

Dans le cadre de Marseille Capitale Culturelle Européenne 2013 je retrouve avec bonheur Marco Baliani que je traduis et assiste pour « le Baiser de la Grenouille », spectacle qu’il vient créer avec des élèves-acteurs et des malades en psychiatrie et en endocrinologie : « les fous et les gros ». (Je ne peux m’empêcher de noter que ce n’est pas grâce à mon travail à Marseille que j’ai pu participer à cet évènement, mais grâce à mon travail à l’étranger…) C’est un magnifique spectacle, dans le jardin d’un hôpital des quartiers Sud de Marseille, avec une trentaine d’acteurs, étudiants de l’Université d’Aix et du conservatoire de Marseille, (dont Emma Gustafsson, Maxime Reverchon, Lauren Lenoir…) mêlés avec des malades… Grand bonheur de retrouver et d’approfondir une même démarche avec Marco Baliani, Maria Maglietta et Elisa Cuppini.

Et puis, enfin… Je créé un seule en scène : par amour pour Nina Simone et pour me sauver, j’écris mon premier texte : « La Nuit où Nina a Chanté », ou pourquoi se mettre à côté d’une montagne, sinon pour se révéler dans ses failles… Je le créé fin 2015 à la chapelle de Baillarguet à côté de Montpellier, chez mon ami François Martin, puis je le joue en ouverture du festival les Innovendables à Léda Atomica Marseille, suivent diverses représentations dont celles programmées dans le cadre du festival « Jazz sur la Ville » en 2016, car je voulais toucher les spectateurs de jazz avec du théâtre. Et puis j’ai joué en appartement, pour toucher tout le monde, et puis je suis partie en 2019 en Tunisie avec mon spectacle qui peut tenir dans une grosse valise (un vieux rêve) pour toucher un autre continent, et donc j’ai joué à l’Artisto en plein cœur de Tunis (un petit théâtre bien vivant qui me faisait penser au Théâtre des Ateliers d’Aix de mes débuts), et j’ai joué aussi dans un cadre féérique : le palais Lella Chedlya à Carthage Salambô, un bijou, dont j’ai découvert par la suite qu’il était à 200 mètres de là où Nina a vécu parmi les mois les plus heureux de sa vie quelques dizaines d’années auparavant …

En 2018 je suis appelée pour donner des stages comme experte de théâtre communautaire en Lettonie, et j’y rencontre des personnes qui m’accueillent dans l’intimité de leur culture, je rêve d’un spectacle en plein air dans la forêt, communautaire et itinérant, un soir d’été… « le Songe d’une nuit d’été » ? …

Et puis en 2019 je réalise ce rêve, je mets en scène le « Songe d’une nuit d’été «  : un spectacle itinérant dans les bois du parc national de Dobele en Lettonie (et donc en letton), avec une trentaine d’acteurs : enfants, adolescents et adultes, le soir du solstice d’été de 2019…

(Pierre Debauche nous disait toujours : « il faut rêver concret pour que les rêves se réalisent »)

Et je mets en scène un autre « Songe d’une nuit d’été  » à Perpignan, avec 18 acteurs usagers de la psychiatrie.

Premières représentations en mai 2019, puis reprise en mars 2020 à Collioure, (le plus beau spectacle depuis 10 ans selon la responsable de la programmation culturelle à la mairie). La date suivante au Cinéma le Castillet de Perpignan a été annulée pour cause de COVID…

2020, l’année entravée pour cause de COVID …

2021 – 2022, c’est la création des « Cabaret St Alban Psy-show » avec la troupe de la Maison Bleue, mon 1er spectacle subventionné par la DRAC.

5 dates déjà dont 1 en tournée à St Alban, 4 dates en octobre dont 1 en tournée à Marseille !

Grande fierté ! 

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