Vivre dans la proximité des fous

Avant de rentrer en scène

Vivre dans la proximité des fous, en brasser l’existence quotidienne, ce sont des vies qui enrichissent la poésie et notre vie » Paul Eluard

Qu’est-ce que le théâtre peut apporter aux personnes en situation de handicap ou d’exclusion ? Et qu’est-ce que le travail avec les « fous » apporte à la créativité théâtrale ?

Ce lien du théâtre et de la folie cher à Artaud ou à Pippo Delbono, je l’explore à ma manière depuis vingt ans en tant que formatrice et metteuse en scène.

J’aime transmettre, et développer « l’excellence » dans la création de spectacles avec des groupes issus de la diversité.

Je pratique un théâtre où rien de ce qui est humain ne nous est étranger.

J’ai formé depuis quinze ans une troupe avec des usagers de la psychiatrie de l’association «la Maison Bleue » de Perpignan, un GEM dont les piliers sont le théâtre et le sport.
Lors de nos rencontres, il ne s’agit pas de faire de l’occupationnel, mais de vivre des moments de qualité, ensemble, pour avancer. Il faut se donner du temps pour cela : le théâtre ce n’est pas deux heures par semaine mais deux jours d’affilée, il faut s’engager à être là de 10h à 17h. C’est un sacré engagement !

J’entends encore Domi, bipolaire, son surnom c’est Trempoline, le premier jour du premier atelier : « Je ne tiendrai jamais, je te préviens je partirai avant la fin de la journée. »

Moi : « oui oui, on verra… ». Et puis plus tard, Domi : « quoi, il est déjà 5h ??? Incroyable !!! Comment ça se fait, j’ai pas vu le temps passer ??! »

Ces rendez-vous programmés, ces temps de théâtre où l’on doit être là, présent, entier … galvanisent l’emploi du temps !

C’est quand le théâtre ? Ce jour où il faut se lever, préparer son sandwich, ses affaires, son texte, ses lunettes, ses baskets, sentir bon, prendre son bus, être à l’heure, se bouger, bouger… On a rendez-vous avec son corps, sa voix, avec le corps de l’autre, la voix de l’autre.

S’écouter, vraiment. Se toucher, pour de vrai.

Je me souviens bien de la première fois où j’ai travaillé avec des usagers de la psychiatrie, je me suis vraiment demandé comment faire : simplifier ce que je fais avec des professionnels, abandonner certains domaines trop délicats, tronquer ce que je sais ? Non. Non !!!

J’ai choisi ce qu’il y avait de mieux, de plus beau, de plus juste, de plus exigeant dans mon compagnonnage théâtral avec les « grands maîtres » que j’ai pu fréquenter.

Et je transmets « à chaud » ce que j’apprends : si je fais un stage sur le cabaret Berlinois des années 30, je reviens forte de cette expérience auprès de la troupe de la Maison Bleue, et le cabaret devient la forme que je propose pour le prochain spectacle…

Dans cette troupe d’une quinzaine de personnes, pour chacun il y a une partition adaptée à ses capacités, c’est mon travail de la trouver;

Avec de l’ambition, avec des exigences et des enjeux de professionnelle de la scène – et avec une patience de chercheuse d’or, je déniche les talents de ces non-professionnels, porteurs de handicaps/diversité/ particularisme … J’en fait une richesse pour eux, et pour leur communauté. En les confrontant à des grands textes, à des défis scéniques, je leur permets d’être beaux sur scène. Pour moi, l’essentiel c’est de donner envie, et de faire confiance à l’incroyable force du théâtre pour révéler des mondes insoupçonnés en chacun. On assiste alors à des mises au monde spectaculaires !

Grâce au temps, révéler les talents, développer l’écoute, se révéler individuellement dans un sens commun, le théâtre est le lieu où faire exister un espace pour le « vivre ensemble ».

Créer un groupe. Faire groupe. Faire confiance au faire ensemble jusqu’à se jeter dans le vide – et alors on peut même voler… D’ailleurs on le fait ! Et on peut même recommencer le lendemain !

Cela c’est le théâtre, mon métier, mon savoir-vivre – que la proximité avec la folie enrichit, car cela oblige à une remise en cause permanente, et c’est une force quand on pense comme je le crois que l’art est dans le changement : il faut être prêt à accepter de tout changer, non pas pour que rien ne change, mais au contraire pour que le théâtre ne devienne pas routinier et reste une force d’invention et un jaillissement de vie.

Durant tout ce temps, la Troupe de la Maison Bleue a joué (entre autres) :

« Cabaret St Alban Psy-Show », joué à Saint Alban, à Elne, à Marseille et à Perpignan !

« Le Songe d’une nuit d’été » de W. Shakespeare, joué à St Estève, au château de Valmy et à Collioure.

« Amours, grenouilles et autres métamorphoses » avec des textes écrits par les acteurs et par moi, joué au Théâtre de la Rencontre en juin et pour les 10 ans des GEM à Béziers en décembre 2017.
Pour voir une vidéo voici un lien : https://youtu.be/bvn0be5i4Xw

« Il y avait Foule au Manoir » de Tardieu, au théâtre de St Estève et à l’Archipel, scène nationale de Perpignan ;

« Les Diablogues de Dubillard », au théâtre de la Rencontre et à la clinique d’Osseja ;

« Un Mot pour un Autre » de Tardieu, à la MDPH et au théâtre de la Complicité ;

« La Minute nécessaire de Mr Cyclopède » de Desproges, au Palais des Congrès et à l’Hôpital de Thuir ;

« Vrai-faux Témoignages » dans le public pour un colloque de Logos sur l’enfermement, au Palais des congrès,

« Chacun cherche son Clown », déambulation clownesque jusqu’aux jardins du palais des rois de Majorque ;

« Naturel’ment », joué en extérieur au Relais à Argelès, et en intérieur au théâtre de Peyrestortes pour le Festival Départemental de Théâtre Amateur.